Sous le couvert de la nuit... [pv: Eppryah]

Les sabots de sa monture foulaient le sol avec un grondement de tonnerre, produisant dans les plateaux un petit nuage de fumée que le vent eut tôt fait de disperser. Derrière elle, le soleil se noyait dans l'herbe, dardant ses derniers rayons couleur feu, et produisant sur les quelques nuages qui restaient une explosion de rouge... Les plaines s'étendaient à l'infini, plus loin que le regard ne puisse porter, et le bleu du ciel qui s'assombrissait, à l'horizon, se confondait avec le vert jaunâtre de l'herbe, agrandissant encore le champ de vision et obligeant à se demander si, en continuant à chevaucher ainsi, on ne se retrouverait pas à galoper dans le ciel. Songeuse, la cavalière accompagnait souplement avec son bassin le mouvement de son cheval. Elle tira les rênes et l'animal s'arrêta.
Elle ne s'y était pas attachée, comme elle avait pris l'habitude de ne s'attacher à rien... Elle voyageait tellement et ce qu'elle vivait parfois était tellement... mmh... dangereux ? intense ? non... marchombre ! Quoi qu'il en soit elle avait trop souvent approché la mort pour ne pas savoir qu'il était inutile de s'attacher à quelque chose d'aussi matériel qu'un animal.
Melyah sauta à terre et attacha rapidement son cheval. Elle préférait la nuit au jour. Dans la nuit, tout se parait d'une aura de mystère et d'inconnu qui la fascinait et la transcendait. Pourtant, elle se bornait à voyager l'après-midi, à faire des excursions la nuit et à dormir le matin.
S'éloignant de l'animal, Melyah inspira profondément et entama des exercices d'assouplissement qu'elle faisait chaque jour, rappel de ses années d'apprentie. Tout en faisant ça, elle pensait. Qu'est-ce qui se passait en Gwendalavir pendant qu'elle partait explorer la ville d'Al Poll ? Les mercenaires du chaos n'étaient que trop nombreux, à présent. Chaos contre Harmonie. Son choix avait été évident. Mais, en se mettant à la place des Mercenaires, elle comprenait. Ils avaient dû vivre des horreurs pour que leur pensée devienne aussi étrange... Même en voyant tout ce qui n'allait pas dans le monde, elle ne pouvait pas imaginer remplacer tout, même ce qui était beau, par le rien... le chaos.
Ses oreilles se tendirent d'elles même. Un rien, un murmure, un infime changement dans l'air l'avaient avertie d'une présence qui n'était pas celle de son cheval. Les sens et les muscles tendus comme un arc, elle fit comme si elle n'avait rien vu ni entendu, et attendit que l'intrus se manifeste de lui même.

Le bruit d'un cheval qui n'était pas le sien permit à Melyah de deviner où se trouvait l'autre personne. Plus silencieuse que l'air qui circulait autour d'elle, elle avança vers la source du bruit, la main posée sur sa dague, prête à dégainer. L'animal était là, à quelques mètres d'elle... Une silhouette humaine se tenait debout avec difficultés, regardant à l'opposé d'elle même.
La jeune marchombre tendit le regard, essayant de comprendre à qui elle avait affaire. Une jeune fille, sans aucun doute. Mais qu'est-ce qu'elle faisait là ? Apparemment, elle n'était pas bien, sinon, pourquoi vacillerait-elle comme un roseau battu par le vent ? Melyah frissonna quand un coup de vent froid la glaça jusqu'aux os. Ecartant les pensées parasites de son esprit, comme son inquiétude pour ceux qu'elle avait laissé derrière elle, elle respira profondément. Il n'y avait que trois sortes de femmes assez fortes, ou assez folles, pour voyager ainsi seules, dans la nuit qui tombait : des Frontalières, des Marchombres ou bien... Des Mercenaires du Chaos. Cette pensée la fit grimacer. Elle se savait parfaitement capable de combattre un mercenaire, mais le fait qu'il y en ait un dans ce coin du monde ne présageait rien de bon. Mais l'autre avait vraiment l'air de ne pas se sentir bien... En cherchant au plus profond de sa mémoire, Melyah acquit la certitude que jamais elle n'avait vu un Mercenaire du Chaos montrer des signes de faiblesse, à part quand elle les tuait. Pourtant, plus elle y pensait, plus elle était sûre que c'était à l'une d'entre eux qu'elle avait affaire.
Elle ne tira pas sa lame. Ce n'était pas la peine. Elle se savait suffisamment rapide pour pouvoir la dégainer à n'importe quel moment. Maintenant il fallait se décider. Il était pour elle hors de question de tuer cette femme par derrière, comme une lâche. Souriante, elle s'avança vers elle, tout son corps exprimant le défi. Une bonne bagarre lui manquait. Et peut être qu'elle arriverait à lui soutirer quelques informations. D'une voix glaciale, elle lança "Bonsoir" afin d'être repérée par l'autre fille.

Les deux jeunes femmes se toisaient, vivantes ombres plus sombres que la nuit. La Mercenaire paraissait plus grande qu'elle, ce qui n'était pas bien difficile, vu les 1m55 de Melyah. Une flamme brillait dans leurs yeux, elles étaient toutes deux attachées à leurs valeurs, et décidées à le rester...

"Si tu savais qui je suis tu t'enfuirais en courant. Tu es brave Marchombre, mais toute seule face à la reine de l'obscure, tu ne peux rien... Je suis Eppryah." déclara l'autre.

Ainsi, les mercenaires du chaos s'étaient trouvés une reine ? Melyah sourit. Les pauvres ! Malgré la décadence du conseil, avec lequel la jeune marchombre estimait qu'elle n'avait plus rien à voir, c'était tout de même mieux qu'une monarchie. Mais cela, elle ne le comprendrait sans doute jamais. D'une voix posée, la jeune fille répondit :
"Tu pleurais encore ta mère quand j'arpentais déjà la Voie de Liberté. J'ai tué plus de Mentaïs que tu ne peux l'imaginer... Même le Conseil me voit sur les traces d'Ellundril Chariakin. Si la mort en personne frappait à ma porte, je l'accueillerais le sourire aux lèvres. Pourquoi m'enfuirais-je devant toi ?"

Eppryah paraissait de plus terriblement faible à ce moment. On pouvait presque sentir la fatigue émaner de chacun de ses gestes. Evidemment, elle restait terriblement dangereuse, et Melyah savait que si elles combattaient et que l'une d'entre elles mourait, l'acte serait irréparable et entrainerait une chute de conséquences inévitables. Une seconde bourrasque de vent tordit leurs cheveux, seule chose qui bougeait dans un monde apparemment figé autour d'elles. Cette impression que rien ne se remettrait à bouger tant qu'elle n'avait pas agi, Melyah l'avait déjà éprouvée à de nombreuses reprises, et toujours dans des circonstances plutôt dramatiques. Une rencontre avec la reine des Mentaïs... Voila qui était intéressant.

Une lueur de tristesse et de haine s'alluma dans l'oeil de la Mentaï. Tiens donc, la mention de la mère de celle-ci l'aurait elle touchée ? Preuve que les mercenaires du chaos n'étaient pas forcément ces créatures sans coeur.
Pour la première fois depuis que Melyah l'avait vue, Eppryah bougea, se rendant à son cheval. Elle avait l'intention de s'enfuir ! La marchombre laissa les coins de ses lèvres se relever de quelques millimètres. Pourtant, une énergie formidable émanait de cette femme. Pour la première fois depuis leur rencontre, elle avait vraiment l'air dangereuse...
D'un geste fluide, elle sortit de son sac une étrange créature qui paraissait très faible "Sais tu ce qu'est ceci ? Un gommeur ! Même tes pouvoirs étranges n'auraient aucun effet entourée par cet animal. Passe, si tu le désire, mais si nous nous retrouvons, je ne te laisserais pas cette chance !"
Melyah soupira. Quelle idiote de n'en avoir pas emmené plus. Tant pis, elle ne pouvait rien faire contre elle. Pour le moment. La meilleure chose qui lui restait à faire était d'aller prévenir le Conseil au plus vite, de mettre de côté ses réticences et de préparer avec eux un plan pour faire face à cette nouvelle menace qui pesait sur Gwendalavir. En même temps, si elles s'affrontaient maintenant et que la marchombre mourrait, personne ne pourrait prévenir le reste du monde.
Elle s'écarta pour laisser passer la reine mentaï. Leurs yeux se croisèrent.
Melyah lut cette étrange faiblesse doublée de ce pouvoir inquiétant. Quand à elle, elle se promit de retrouver Eppryah un jour. Parce qu'elle devait mourir, étant un danger pour le reste du monde.
On verrait bien.