Régénération [pv :Slïenna]

Slïenna lui avait pris la main, et quelques secondes plus tard, elles s'étaient retrouvées.. ailleurs. Bien que Melyah haïsse les dessinateurs pour la triche qu'ils pouvaient faire, elle ne pouvait que reconnaître que la mentaï venait de lui sauver la vie en l'amenant au seul endroit où on pouvait encore les soigner : la Cité d'Orianne. Elles étaient devant la porte. Seulement, il fallait frapper.
La marchombre eut un instant la tentation de tuer sa soeur, évanouie et si fragile à ce moment. Mais elle était une créature de l'Harmonie, pas une traîtresse. Elle se contenta de se relever lentement, centimètre par centimètre, en prenant appui sur le lourd battant de chêne.
Puis elle frappa de toutes ses forces jusqu'à ce qu'on vienne leur ouvrir. Le Rêveur qui se chargea de ça ne s'attendait sûrement pas à ce qu'une jeune et jolie femme au bord de la mort lui tombe dans les bras. Mais guérir était son métier, et il appela rapidement d'autre Rêveurs qui emportèrent les corps des deux soeurs au travers des couloirs jusqu'à une salle aux volet clots.
Là, ils les installèrent sur des lits et se placèrent autour.
Dans une concentration et une tension croissante, ils se mirent à dérouler leur Rêve.
Pour les sauver.

Alors que les rêveurs s'activaient autour d'elle sans qu'elle le sache, Slïenna perçut la naissance d'un Dessin dont elle n'arrivait pas à saisir la substance. Elle grogna, tentant d'aller dans les Spires pour comprendre. Mais elle n'y arrivait pas. Elle était encore trop fatiguée.
Elle sombra de nouveau dans le noir. Les fantôme de tous ceux qu'elle avait tué dansaient autour d'elle, l'invitant à venir prendre place parmi eux. Elle les regardait avec mépris. Ils étaient morts et ELLE était encore vivante, elle leur était donc supérieure. Elle n'était pas de ceux qui considèrent comme un cauchemar le fait de se souvenir de ses crimes. Au contraire. Le nombre de morts qui l'entouraient la ravissait, la mettait dans un état d'extase.
Puis le rêve changea. Son amour perdu s'avançait vers elle, tendant les mains et la prendant dans ses bras. Elle pleurait, mais s'accrochait désespérément à cette étreinte. Et ce doux amour se transformait en son père qui la serrait contre lui, protecteur. Elle cessait de pleurer. Lui ne disait rien mais lui montrait d'un geste la petite fille qui courait das le champ. Cheveux roux sombres, yeux dorés, c'était Melyah. Etrangement, Slïenna courait vers elle et elles tombaient ensemble par terre, jouant et riant.
La Mentaï s'éveilla en hurlant dans une chambre qu'elle ne reconnut pas. Beaucoup de ses blessures étaient guéries et celles qui ne l'étaient pas étaient bandées. Elle était dans un lit blanc, avec une fenêtre ouverte à sa droite. Le dénuement de la pièce la frappa d'abord. Puis, elle se rappela de tout et sut qu'elle devait être dans Orianne. Elle avait sauvé la vie de sa soeur. De sa pire ennemie. Et sa soeur l'avait sauvée aussi, en frappant et en convainquant les Rêveurs de l'accueillir.
Que se passerait-il quand ils sauraient qu'ils avaient accueilli un monstre ?

Melyah battit des paupières, tentant de s'adapter à la lumière crue qui entrait à flots par une fenêtre inconnue. Elle était allongée dans un lit. Elle n'eut aucun mal à se souvenir des évènements passés. Sa première pensée fut pour Slïenna : où était-elle, et était-elle guérie ?
Un rêveur entra à cet instant dans la pièce et sursauta en la voyant réveillée, le transperçant de ses yeux dorés. Il résulta de leur conversation qu'elle avait dormi deux jours, qu'elle était parfaitement guérie et que sa soeur s'était éveillée le matin même, qu'elle était à présent dans la cour, assise sur un banc, sûrement perdue dans ses pensées.
Melyah se releva d'un bond, s'habilla sans la moindre gêne ni le moindre regard vers le Rêveur, sortit de la chambre et rejoint directement Slïenna dans la cour.
Les deux soeurs se regardèrent un instant en chiens de fusil puis Melyah murmura "Heureuse de voir que les Rêveurs n'ont pas hésité à te guérir."
La Mentaï eut un sourire fatigué "Je ne détruirais pas tout de suite Orianne, pour la peine."
L'ironie de la situation les fit rire toutes les deux, puis, plus sérieusement, la marchombre demanda "Que compte-tu faire à présent ?"
Sa jumelle répondit doucement "Je ne veux pas leur attirer d'ennuis. Quand nous serons sorties d'ici, nous aviserons. En attendant, nous sommes les meilleures amies du monde."
Melyah hocha la tête, en notant le calme étonnant de l'endroit, puis alla s'assoir à côté de sa soeur, profitant de ces instants de neutralité.

Slïenna sursauta et eut un mouvement de recul instinctif lorsque Melyah vint s'asseoir à côté d'elle. Elle était en train de discuter tranquillement avec la meurtrière de l'homme qu'elle avait aimé, et aimait toujours à travers la mort.
"Je ne comprends pas que tu ais pu verser le plus beau sang du monde, laisser la lumière de ces yeux magnifiques s'éteindre." murmura-t-elle, une larme roulant sur sa joue.
Sa soeur se tourna vers elle, avec l'air d'être surprise. "Je t'ai dit que je l'avais tué... A vrai dire je n'en sais rien, je l'ai abandonné, mourant, dans les Plateaux d'Astariul. S'il a eu de la chance, il est peut être encore en vie. Peut être qu'il a été récupéré par un Dessinateur et qu'il l'a amené ici."
Slïenna regarda la marchombre, une lueur d'espoir éclairant soudain ses yeux glacés.
"Je dois en être certaine. Es-tu vraiment sûre de ne pas l'avoir tué ?"
Sa jumelle hocha la tête.
"Dans ce cas, je dois aller questionner les Rêveurs." déclara-t-elle en se levant.
Pour la première fois depuis deux ans, elle trouvait une raison de continuer à vivre autre que la vengeance. Après tout, on lui avait seulement reporté la mort de Kilian, elle n'avait jamais vu son corps.
Sa soeur, restée derrière, murmura "Comme ton visage devient beau lorsque l'amour l'illumine et non la haine."
La Mentaï se retourna, la foudroya du regard, et pour finir lui demanda, d'un ton presque suppliant "Aide-moi à le retrouver, toi qui es responsable du fait qu'il a été mort pour moi pendant tant d'années."

Peut être était-ce le visage de Slïenna quand elle parlait de l'homme qu'elle aimait tant qui poussa la marchombre à dire ce qu'elle lui dit. Ou alors, peut être était-ce un semblant d'amour fraternel ? Après tout, elle était la seule famille qui lui restait. Toujours était-il qu'elle lui répondit doucement :
"Cet homme m'a torturée pendant des heures et des heures. Toi tu es la représentation de la traîtrise du Chaos et de tout ce que j'abhorre, tu m'as combattue pendant des heures et presque tuée, je devrais te haïr et pourtant je n'y arrive pas, même si je ne peux aller jusqu'à dire que je t'aime. Si tu promets de ne pas me poignarder dès que j'aurais le dos tourné, je viendrais avec toi et t'aiderai dans la mesure de ce qui m'est possible, parce que je respecte ce que je pense que notre père aurait voulu que je fasse. Et parce que je veux savoir s'il est mort ou pas."
Elle se leva et rejoignit sa jumelle. Celle-ci, reprenant son regard glacé habituel, grommela "Merci... Il faut que nous décidions d'un plan de recherche. Je propose que nous parlions d'abord aux Rêveurs pour savoir s'ils ont soigné quelqu'un comme lui, puis, si ça n'aboutit à rien, que nous allions aux Plateaux d'Astariul à l'endroit où tu l'as combattu et laissé pour mort. Ensuite, nous aviserons."
Melyah hocha la tête. La Mentaï décidait vite et bien, elle avait l'âme d'une chef. Peut être trop. Elle était dangereuse. En tout cas, elle n'avait plus le choix. Elle avait promis de l'aider, et elle tiendrait sa promesse, c'était une question de morale. Même si le monstre qui avançait à côté d'elle n'en avait aucune, elle le devinait. La seule morale qu'elle avait, c'était celle de la laisser envie jusqu'à ce qu'elle retrouve son amant.
Deux ans, c'était long. Il était possible qu'elles ne retrouvent plus rien, surtout qu'il n'avait pas cherché à la retrouver. La marchombre sourit. Elles retrouveraient soit rien, soit un cadavre. Dans tous les cas... Qu'est-ce qu'elle gagnait ?

La Mentaï ignora le sourire insolent qui flottait sur les lèvres pleines de sa soeur. Elles étaient en effet arrivée devant le bureau de celui qui dirigeait la guilde des Rêveurs d'Orianne. Un homme en gardait l'entrée. En les voyant, il eut un sourire incertain. Il était vrai qu'elles formaient un couple mal assorti, malgré la ressemblance frappante de leurs traits. "Nous désirons voir ton supérieur. Inutile de préciser que c'est important." annonca Slïenna d'un ton glacé, s'attirant un regard outré de sa soeur, qui avait noté l'arrogance et le manque de politesse dans sa voix. Apparemment, le Rêveur n'était pas aussi observateur qu'elle, car il se contenta de leur demander de patienter quelques instants, puis d'entrer dans le bureau. Il en ressortit presque aussitôt. "Il accepte de vous recevoir." fit-il poliment en leur tenant la porte ouverte. Les deux jeunes femmes s'avancèrent l'une à côté de l'autre, entrant dans la pièce.
Le bureau était grand mais peu meublé. Une table de travail en prenait beaucoup de place, de même que le grand fauteuil placé derrière et l'homme qui était assis dessus. Les rideaux rouges avaient été tirés de manière à créer une lumière tamisée. Seule la lueur d'une chandelle éclairait les papiers que l'homme venait de cesser de remplir.
Melyah parla la première, d'une voix où l'on sentait une certaine déférence (Slïenna la méprisa pour cela) : "Tout d'abord, nous voulions vous remercier infiniment pour les soins que vous nous avez prodigué au moment où, je le crains, nous étions prêtes à rejoindre le Néant qui s'étend après la mort."
Le Rêveur expliqua d'une voix sereine et illuminé que ce n'était que leur devoir et leur vocation. La Mentaï le coupa, énervée par tant de formalités "Nous voulions aussi vous demander si, dans personnes que vous avez soignées, il n'y avait pas un homme, il y a deux ans, brun et très beau, qui portait le même tatouage que moi dans son dos ? C'est très important."
L'homme resta silencieux quelques instants, semblant rassembler ses souvenirs, réfléchissant intensément, puis il avoua "A cette époque, j'étais tout nouvellement intronisé Rêveur et je n'ai pas prêté attention à ces détails. Si vous en avez le courage, allez voir le plus ancien de nos rêveurs, Frean Gin'Telar, il saura certainement, il a une excellente mémoire. A cette heure-là, il doit être dans la salle de rassemblement, à raconter des histoires aux apprenties."
Les deux jeunes femmes remercièrent et sortirent. Slïenna sentait son sang bouillir d'impatience. Enfin de nouveau la quête, l'ivresse de l'aventure ! Elle espérait toutefois que cela débouche sur un bain de sang et les retrouvailles avec son aimé.

Les deux soeurs pénétrèrent dans la salle de rassemblement, ouvrant les deux battants avec une théâtralité exagérée. Les regards se tournèrent sur leur passage tandis qu'elles allaient vers le vieil homme installé dans un fauteuil confortable en face d'elles. Redoutant que Slïenna ne se montre une nouvelle fois impolie, la marchombre prit la parole en première "Bonjour. Vous êtes Frean Gin'Telar ? Le chef de votre ordre nous a donné votre nom, nous aurions besoin d'un renseignement."
Le vieux Rêveur leva la tête et les dévisagea avec intérêt de ses yeux bleus clairs. Le silence s'éternisa, alors la Mentaï explosa, ordonnant d'une voix glacée : "Dis-nous si il y a deux ans, vous avez soigné un jeune et bel homme brun, qui avait le même tatouage que moi dans le dos !" Tout en disant cela elle se tourna et remonta son corsage, permettant à leur interlocuteur d'observer le dragon noir gravé dans sa peau. Melyah nota avec un sourire amusé les rougissements des Rêveurs présents, mais la réponse de Frean ne se fit pas attendre. "Toi qui as l'air si impatiente, tu as dans le dos le même tatouage que l'homme que nous avons soigné il y a deux ans et qui a failli tous nous tuer." dit-il d'un air grave.
Après une longue discussion, elles apprirent que l'homme en question s'était soudain ravisé, et qu'il était parti vers le Sud. "Sûrement s'engager dans un raid contre les pirates alines. Ou avec eux."

"Alors, on part vers la mer des brumes ?" demanda Melyah à sa soeur une fois qu'elles furent sorties. Slïenna acquiesca et, après avoir rassemblé leurs affaires, toutes les deux quittèrent le monastère d'Orianne.
La Marchombre et la Mentaï, toutes deux réunies dans la même quête pour une simple histoire d'honneur pour l'une, d'amour pour l'autre. Aussi différentes que l'été et l'hiver, que le jour et la nuit. Les deux morceaux d'une même histoire.

[A SUIVRE]

» Présentation de Slïenna
» Horizons Rouges [Pv Slïenna]